« Karin BECKER remet, pour le XIXe, en pleine lumière quelques-uns des textes dans lesquels la littérature confirme que le repas est cet espace-temps capital où se nouent les intrigues essentielles de la vie en société » (Pascal Ory, Préface). Tout est dit , ou presque...
Ce livre est en partie (en partie seulement) le fruit d’une thèse d'habilitation allemande Der Gourmand, der Bourgeois und der Romancier (Francfort-sur-le-Main, 2000). On pouvait craindre le pire, car trop souvent ce genre d’exercice universitaire est, peu ou prou, ennuyeux et s’apparente à du « copier-coller » des oeuvres de nos grands écrivains, tels que Balzac, Baudelaire, Flaubert, Hugo, Zola, Maupassant… Or, il n’en est rien. Karin Becker dépeint excellemment le « siècle bourgeois », qui a inventé un culte de la bonne chère, sans abuser des extraits, tout particulièrement, des oeuvres de fiction, des romans et nouvelles de l’époque qui en constituent un reflet significatif.
On savoure la lecture du premier Chapitre sur l’Art culinaire ? Les romanciers encensent la table de « la Grande cuisine » (celle de Paris, des boulevards…), font la moue à la « table bourgeoise » (celle des ménages et donc des femmes), mais ils ne rechignent pas devant « les cuisines régionales » plus naturelles. Citant Balzac, dans La Rabouilleuse : « On ne dîne pas aussi luxueusement en province qu'à Paris ; mais on y dîne mieux ; les plats y sont médités, étudiés ».
Le Chapitre II sur les Aspects sociaux et moraux de l’alimentation s’ouvre par une étude renouvelée du discours alimentaire dans Les Misérables de Victor Hugo. Suit un exposé de la description, par les grands auteurs du XIXe, des lieux où l’on mange, soit la salle à manger des ménages riches ou pauvres et, d’autre part, les restaurants en tout genre (auberges, pensions de familles, cafés, établissements pouilleux ou, au contraire, sélects comme ceux du boulevard… des Italiens). Un passage instructif est consacré au temps où l’on mange. Suite logique,le Chapitre III s’intéresse Aux manières de table et partant à « l’homme sous contrainte ». Complète description des codes à respecter lors des « dîners priés » de la société huppée, avec bonnes et mauvaises manières de table, y compris les conversations à respecter ou, au contraire, les sujets qui fâchent, donc à éviter. Contraste saisissant : « le demi-monde » et le « monde ouvrier » de l’époque ne connaissent rien, ou si peu, aux bonnes manières.
Le Chapitre IV éclaire le mangeur du XIXe siècle et son corps, qu’il s’agisse du (gros) bourgeois gourmand ou de celui qui se met à suivre (déjà) un régime pour maigrir. Quant aux femmes : « mangent-elles ? ». « C’est un mystère », dit Balzac. De là à penser qu’elles ne savent pas manger ! De là, par contraste, la gourmandise féminine débridée renvoie à « un comportement monstrueux ».
Le Chapitre V ferme ce bon livre de Karin BECKER par le regard croisé de la gourmandise et l’érotisme, sujet omnipr ésent dans les romans réalistes et naturalistes du XIXe. Où l’on retrouve l’application de la théorie du sucré à la sexualité féminine et l’équation art culinaire et l’art amoureux. Ce chapitre jette également un oeil voyeuriste sur le tête-à-tête intime dans les cabinets particuliers (fermés) des grands restaurants des boulevards parisiens. L’ouvrage dépeint finalement, et admirablement, différents aspects du rapport complexe que les romanciers du XIXe siècle ont entretenu avec les discours des gastronomes de leur époque.
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