Article paru dans Le Bon coin.
Il faut saluer le courage d'une maison d'édition « à taille humaine », Paradigme, qui s'est lancée dans la publication de la poésie, et, qui plus est, de la poésie de langue étrangère, en version bilingue. Pour un de ses premiers titres, la nouvelle collection, « Passerelles en poésie », a choisi de nous faire connaître le poète finlandais contemporain, mais déjà classique dans son pays, Lassi Nummi (1928-2012). Il est l'auteur d'une œuvre qui s'étend sur plusieurs décennies, qui compte une trentaine de recueils, et où se mêlent lumière et gravité.
Lassi Nummi fait partie des poètes « modernistes », qui, en Finlande, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cherchèrent à instaurer moins de rigidité dans le fond comme dans la forme de leur art. Dans ce groupe, il se distingue par sa fraîcheur et une sorte de ferveur vitale.
Le poète est né en 1928, à Helsinki. Son père, pasteur luthérien, avait été missionnaire six ans en Chine. Il faut croire que son enfance a baigné dans ce souvenir, car un de ses premiers recueils, Vuoripaimen (1949) (le Pâtre des montagnes), se place sous le signe de ce pays. L'auteur en a gardé durablement l'image d'un poète qui écrit à délicats et brefs coups de pinceau, un peu comme un calligraphe chinois, et dans un sentiment d'exaltation. Même quand sa poésie gagnera en maturité et traitera de sujets plus graves, elle conservera toujours ce tropisme vers la lumière.
Lassi Nummi disait de lui‑même qu'il écrivait comme les impressionnistes français peignaient : dans une brume lumineuse. Et j'ajouterais : à petites touches. Le poème suivant est significatif à cet égard :
J'AI JETÉ EN PASSANT UN COUP D'ŒIL À L'ÉRABLE
J'ai jeté en passant un coup d'œil à l'érable. Un instant il a [semblé
que lui venait aux joues, légère, une roseur, bref éclat
rouge des fleurs qui sont tombées.
Je laisse errer mon regard. Ici et là
d'une faible lueur d'or le vert déjà se colore :
l'été encore sous ses voiles dissimule
les trésors de l'automne.
Bientôt les feuilles voleront – s'élèveront en tourbillons
vers les hauteurs. Trouveront
finalement toujours leur chemin,
leur demeure dernière. Le terre.
Les pensées volent, volent
– où vont‑elles ? Quand seront‑elles au port ?
Jamais.
Nulle part. Leur patrie, c'est
le vide, le vaste, l'éternel tourbillon.
Osmo Pekonen, dans une éclairante préface, écrit à propos de cette œuvre : « Les petits moments heureux de la vie [apparaissent] souvent comme enveloppés dans un halo lumineux ». Lassi Nummi est avant tout un poète de la lumière. Presque tous ses poèmes la mentionnent.
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La préface nous apprend que le poète fut actif et influent dans la société de son temps. Il fut président de l'Union des écrivains finlandais (1969‑1972), président du PEN club finlandais (1983‑1988). Il fit partie de longues années du Comité de traduction de la Bible en finnois. L'université de Helsinki le consacra docteur honoris causa en philosophie et en théologie.
Sans doute, la nature du poète, dont Osmo Pekonen nous dit que « , toujours souriante [, elle] était si désarmante que personne ne pouvait le haïr », l'a-t-il porté à ces fonctions. Et le préfacier de continuer : « Son habitus était à la fois celui d'un homme aux cheveux d'argent, à l'air fragile, et celui d'un cardinal vieillissant. »
Yves Avril, le traducteur, évoque à son tour, dans une courte introduction, la rencontre qu'il fit du poète en 2002 : « De la brève rencontre que je fis de Lassi Nummi [...], je garde un souvenir lumineux (on ne s'étonnera pas, quand on parle de lui, de retrouver toujours cette référence à la lumière) : à dire vrai je n'avais jamais rencontré un homme qui ressemblât autant, physiquement et dans son comportement, à ce qu'il écrivait : clarté et douceur du regard, sourire plein d'humour sur les lèvres, tendresse et humilité. »
On comprend vite ce qui a poussé Yves Avril à traduire ce poète : son ouverture, sa profondeur, son amour de la lumière, qualité dont notre époque a bien besoin.
Jean‑Pierre Rousseau
Lassi Nummi, Elämän puutarha, Le Jardin de la vie, édition bilingue présentée par Yves Avril et Osmo Pekonen, traduction du finnois par Yves Avril. Éditions Paradigme, Orléans. 2015. 96 p.. 9,80 €.