Jean-Marcel Paquette, La Chanson de Roland. Métamorphoses du texte. Essai d’analyse différentielle des sept versions, Orléans, Paradigme, 2013 ; 1 vol., 123 p. (Medievalia, 79). ISBN : 978-3-86878-297-7. Prix : € 28,00.
Cette plaquette réunit huit études sur les différentes versions, assonancées et rimées, de la Chanson de Roland – dont six art. déjà publiés dans les années 1980 et deux travaux inédits (chap. 8–9) –, précédées par deux études sur l’épopée parues respectivement en 1988 (chap. 1, p. 9–26) et en 1971 (chap 2, p. 27–48).
Les trois études rolandiennes constituant, avec les deux travaux d’ordre général, la première part. du volume (Sur certains caractères de l’épopée, p. 7–69), examinent la laisse inaugurale du poème (chap. 3, p. 49–53), la fonction de la formule Halt sont li pui (chap. 4, p. 55–62), enfin les songes de Charlemagne (chap. 5, p. 63–69). Ouverte par une rapide introduction (p. 73–74), la seconde part. du volume (Pour une poétique des laisses similaires, p. 71–106) contient quant à elle cinq analyses consacrées à autant de moments clés du récit : Le dialogue Marsile-Ganelon (chap. 6, p. 75–81) ; L’altercation Olivier-Roland (chap. 7, p. 83–92) ; L’altercation Charlemagne-Ganelon (chap. 8, p. 93–95) ; L’invocation de Roland à Durendal (chap. 9, p. 97–99) ; Les lamentations de Charlemagne (chap. 10, p. 101–106).
La méthode de l’« analyse différentielle » constitue le fil rouge de la recherche : inspiré par le concept zumthorien de « mouvance », l’A. s’attache à comparer entre elles les différentes versions rolandiennes dans l’intention « moins de montrer comment une oeuvre maîtresse se détériore et se désagrège, que de montrer par confrontation avec le processus même de la désagrégation, comment elle s’est, dans son unicité, construite » (p. 81). En général, ses « exercices d’anatomie critique », qu’il faut saluer pour la finesse de certaines analyses de la version oxonienne, se lisent ou se relisent avec plaisir, malgré quelques excès et surinterprétations (voir par exemple l’« algorithme » évoqué à la p. 74). Deux conséquences majeures découlent toutefois de l’angle d’attaque choisi. La première est que la confrontation des différents témoins rolandiens est toujours menée selon l’« axe horizontal », c’est-à-dire sans aucune attention pour la dimension verticale de la tradition ni, a fortiori, pour les procédés pouvant expliquer la « mouvance ». Aux yeux de l’A., la tradition des textes rolandiens n’est en effet qu’un simple processus de dégénération progressive du chef-d’oeuvre initial, un « véritable processus de prolifération [de variantes] au terme duquel le message initial se perd dans le bruit » (p. 92). La deuxième conséquence est que les versions anti-oxfordiennes ne sont examinées qu’en négatif. Dans le propos critique, ces versions, auxquelles l’on nie toute valeur poétique, constituent uniquement la pierre de touche permettant, grâce à leurs faiblesses et à leurs « signes manifestes d’inintelligence esthétique quant aux forces structurantes du récit de départ » (p. 75–76), de mieux comprendre et de mieux apprécier, par ricochet, les beautés, la structure et la symétrie du texte de Turold, dont les mérites indubitables sont sans cesse célébrés avec emphase. Cette vision simpliste et anhistorique à la fois de la tradition et de ses produits influence inévitablement les micro-analyses et finit par donner une vision aplatie et déformée des « métamorphoses du texte ».
Le choix de publier presque toutes les études ici réunies sans le support d’aucune note bibliographique est également contestable. L’A. en est conscient, mais la raison qu’il invoque pour justifier un tel choix (« Comme le projet d’embrasser la totalité des versions dans un même type d’analyse textuelle était […] presque neuf, la recherche bibliographique a été réduite à sa portion simplifiée », p. 6) est loin d’emporter la conviction et balaye d’un revers de la main deux siècles d’études critiques. Par ailleurs, les quelques éléments bibliographiques fournis dans l’Avant-propos (p. 6–7) – la liste des témoins rolandiens et de leurs éditions – est entachée par plusieurs imprécisions et erreurs (Bogdanov au lieu de Bogdanow, p. 6, 106 ; Musée Britannique pour British Library, etc.) ; en particulier, l’affirmation : « Pour les textes eux-mêmes, j’ai utilisé l’unique édition qui s’en trouve, celle de Raoul Mortier » (p. 6) est déconcertante. Le volume se clôture par une annexe fournissant, en huit tableaux synoptiques, les extraits analysés dans les chap. 3–10 (p. 112–123).
Giovanni Palumbo