De l’oral à l’écrit. Le dialogue à travers les genres romanesque et théâtral, éd. Corinne Denoyelle, Orléans, Paradigme, 2013 ; 1 vol., 366 p. (Medievalia, 80). ISBN : 978-2-86878-299-1. Prix : € 23,00.
Le thème de ce recueil est fascinant à plus d’un titre : comment le roman et le théâtre médiévaux ont-ils abordé le dialogue au fil des siècles : est-ce sur le mode de la continuité entre les genres longtemps affirmé par la recherche, en cette période d’oralité constitutive de la littérature ? Ou bien est-ce sous l’angle de la spécificité propre à des écritures différentes dans leur optique et leur genèse ? Certes, le lecteur ne trouvera pas de réponse univoque à cette question, vu qu’il s’agit de dix-sept contributions présentées lors d’un colloque à l’Université de Toronto en 2011. Point de monographie, donc, mais une bonne synthèse des art. est proposée par C. Denoyelle en début d’ouvrage, et permet de mettre en évidence la diversité des réponses apportées par les auteurs médiévaux, riches d’une liberté fondamentale à cet égard : celle qui résulte de l’absence de règles contraignantes et de catégorisation explicite à cette époque de la littérature, abordée ici à travers des témoignages relevant généralement de la production en langue française (du xiie au début du xvie siècle), et parfois occitane ou catalane.
Les A. de ces contributions, dont la plupart sont écrites en français et quelques-unes en anglais, sont rattachés à divers organismes de recherche d’Europe et outre-Atlantique. Chacun d’eux se focalise en général sur une oeuvre ou un ensemble de textes formant une unité, parfois sur un auteur, que nous mentionnons ci-après entre parenthèses. Par ordre de contribution dans le recueil : E.B. Vitz (Chrétien de Troyes, plusieurs romans, principalement Perceval et Yvain), C. Connochie-Bourgne (Placide et Timeo ou Li secrés as Philosophes ; ainsi que le Livre de Sydrac le philosophe), F. Brandsma (le Lancelot en prose médio néerlandaise), F. Gringras (fabliaux et texte dramatiques), J. Koopmans (disputes et dialogues, ainsi que théâtre français tardif), M. Rousse (le dit de Dame Jouenne et le fabliau de L’esquiriel), D. Hüe (le cycle
Flamenca, Robin et Marion, Aucassin et Nicolette, etc.), D. Kullmann (Chrétien de Troyes et diverses chansons de geste), M. Gally (oeuvres d’Adam de la Halle), I. Arseneau (Montreuil, le Roman de la Violette et mise en prose), P. Kunstmann (Miracles de Notre-Dame, version de Coinci et version narrative), C. Piuma (Frondino e Brisona, et La Faula de Guillem de Torroella), J. Valcke (théâtre de la Mère Folle de Dijon, dont l’Avant-Exercice de l’Infanterie), E. Oppermans-Marsaux (interjections dans corpus romanesque et dramatique en moyen français), M. Longtin (le Mystère de sainte Barbe), C.D. (le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel, et le Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle).
Pour donner au lecteur un aperçu sommaire et inévitablement simplificateur, de cet excellent recueil, nous dégageons ici quatre aspects principaux qui se retrouvent en fil rouge à travers les différents travaux proposés : 1. Il s’avère y avoir une difficulté codicologique persistante à distinguer l’écriture de dialogues à vocation romanesque de celle à but théâtral, si tant est que la distinction peut d’ailleurs s’opérer clairement entre les deux genres à l’époque médiévale (F.B., F.G., J.K.) ; 2. Cette difficulté peut s’aborder en investigant les limites orales du conteur de roman : jusqu’où sa virtuosité peut-elle aller en termes de variété de personnages, de nombre et d’alternance entre les différents partenaires en dialogue (E.B.V.) ? Dans le même ordre d’idées, c’est la transformation vers le roman en prose (I.A.) qui témoigne de l’évolution des impératifs de la lecture sur l’oral dans la gestion évolutive des dialogues ; 3. On ne saurait oublier, dès lors, la mouvance des textes médiévaux, conservés dans des documents qui n’en reflètent le plus souvent qu’une étape : adaptations narratives de textes théâtraux (M.R.), ou inversement, adaptation de textes épiques (D.K.), narratifs ou théologiques (P.K., D.H.) devenus théâtraux ultérieurement ; 4. Enfin, l’usage du dialogue dans l’élaboration de la pensée à l’époque médiéval s’avère un élément réellement fondamental. Tantôt à valeur pédagogique (C.C.-B.), tantôt à effet lyrique (M.G., M.L., C.D.), le dialogue comporte aussi plusieurs niveaux d’énonciation qui en montrent toute la complexité : qu’il s’agisse de changements de condition sociale, de langue ou encore de dialecte (C.P., J.V., E.O.-M., M.J.).
Bref, c’est un recueil passionnant à découvrir, dont on regrettera seulement l’absence de résumés, ainsi que le fait que les contributions ne comportent en général pas de bibliographie systématique, ce qui impose au lecteur d’investiguer les notes en bas de page pour aller plus loin dans sa découverte des oeuvres et des travaux critiques cités. Cependant, l’index des titres et des personnes (oeuvres et auteurs médiévaux, mais aussi chercheurs contemporains cités dans les contributions) permet dans une certaine mesure de compenser cette lacune mineure.
Pascale Dumont