Comme le rappelle A. Vauchez dans son élogieuse préface, l’abbaye de Saint-Gilles du Gard fut durant les XIe et XIIe siècles un lieu de pèlerinage des plus fréquentés, et Gilles – dont on sait pourtant si peu de choses – un des saints les plus vénérés d’Occident. C’est donc « un heureux événement et une initiative très opportune », comme le dit encore A. Vauchez, que de publier pour la première fois en intégralité, accompagné d’une traduction française et d’un savant commentaire, le texte latin du Liber miraculorum sancti Egidii, qui en trente récits de miracles rassemblés par deux rédacteurs successifs – une première rédaction de Pierre Guillaume, qui se présente dans son prologue comme le bibliothécaire de l’abbaye, entre 1120 et 1124, est en effet complétée par un continuateur anoyme à la fin du XIIe siècle – couvre un siècle de vie du sanctuaire.
2L’ouvrage se divise en trois parties d’inégale longueur. Suite à la préface d’A. Vauchez, M. et P.-G. Girault proposent un rapide bilan historiographique sur les recueils de miracles, dont ils soulignent par ailleurs l’intérêt pour accéder à une image vivante de la société et de la spiritualité médiévales, dans cet esprit d’ouverture qui avait déjà guidé les auteurs de Visages de pèlerins au Moyen Age (Zodiaque, 2001). Les informations essentielles concernant la vie de saint Gilles, l’histoire du culte et du pèlerinage complètent cette rapide introduction, qui s’achève sur une présentation des deux manuscrits contenant le Liber et des principes ayant guidé l’édition.
3Le texte latin des trente miracles est ensuite proposé à la lecture, avec sa traduction française en vis-à-vis. Des deux manuscrits existants, c’est le BNF lat 13779 qui a logiquement été retenu, puisque c’est à la fois le plus ancien et le plus complet, à l’exception du premier miracle inséré dans le prologue (« Sur une femme aux mains contractées »), dont le texte se trouve seulement dans le second manuscrit. Sans être très originaux, ce qui n’est évidemment pas l’objet de ce type de récits, les miracles relatés dans le Liber n’en présentent pas moins quelques particularités qui font leur prix : loin de n’être que de secs comptes rendus, la plupart des récits se caractérisent par leur longueur et la précision de leurs notations géographiques ou politiques ; ils se situent volontiers, non pas à proximité de Saint-Gilles, mais dans des régions très éloignées (Allemagne, Pologne, Italie, Espagne), ce qui témoigne bien du rayonnement exceptionnel du culte ; enfin les miraculés font surtout appel à saint Gilles non pour les guérir, mais pour les faire évader de prison ou échapper à la pendaison – le miracle du pendu dépendu apparaissant comme une sorte de spécialité du saint dans ce recueil.
4Dernière partie de l’ouvrage, un copieux commentaire qui met bien en évidence quel gisement d’informations donne à exploiter le Liber : d’abord sur le texte lui-même, ses auteurs et les circonstances de sa rédaction ; sur le sanctuaire de Saint-Gilles ensuite, sa disposition et son évolution architecturale, en particulier de l’abbatiale préromane, abattue en 1116, à l’abbatiale romane, « qui est alors un des plus vastes édifices du Sud de la France » (p. 236) ; sur les pèlerins, leur origine géographique (souvent lointaine) et sociale, leurs motivations, et sur les pratiques religieuses associées au pèlerinage (prières, offrandes et ex-voto) ; enfin sur les miracles en eux-mêmes, dont M. et P.-G. Girault proposent une typologie, tout en éclairant judicieusement leurs rapports aux différents modèles scripturaires et hagiographiques (à commencer bien sûr par la Vita sancti Egidii).
5Bibliographie, index, cartes et illustrations complètent cette publication d’une incontestable qualité, qui mérite d’être recommandée à tout amateur de la civilisation médiévale, spécialiste ou non.
Silvère Menegaldo, « Livre des miracles de saint Gilles. La vie d’un sanctuaire de pèlerinage au XIIe siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 2007, mis en ligne le 01 juillet 2008,. URL : http://crm.revues.org/2695